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Jean-Baptiste Burbaud via Pexels
© Jean-Baptiste Burbaud via Pexels

TÉMOIGNAGES: victimes de harcèlement de rue, elles racontent

On nous harcèle, on nous crie dessus, on nous poursuit et on nous touche dans la rue. On n’ose plus faire du vélo seule de peur de ce qui pourrait arriver et on marche, vite, nos clés entre les doigts quand on rentre le soir. Nous, les femmes, sommes encore et toujours victimes de harcèlement et d’agressions en rue. Et cela doit cesser!

Robine, 25 ans, a été victime d’un homme qui la harcelait depuis un moment.

« Je vis en colocation avec Alex dans le centre-ville, à cinq ­minutes à pied des bars où, avant le confinement, on avait l’habitude de sortir. Souvent, on sort tous les deux, et quand je suis avec lui, il ne se passe jamais rien. Quand je suis seule, par contre, c’est différent. J’ai vécu trois situations très désagréables quelques mois avant le confinement, quand je rentrais chez moi après une soirée. À deux reprises, des hommes m’ont agressée tout près de mon appart’. La première fois, c’était un mec saoul qui ­zonait devant ma porte. La deuxième fois, j’ai remarqué que quelqu’un me suivait, un homme. Il s’est ­approché de moi très lentement. Heureusement, dans les deux cas, j’ai pu courir me mettre à l’abri chez moi. Le mec saoul a réussi à rentrer dans le couloir, mais j’avais heureusement déjà passé et verrouillé la deuxième porte. Le troisième incident, lui, m’a rendue malade pendant longtemps… C’était dans un bar. J’avais rencontré un gars et dansé avec lui. Il a demandé s’il pouvait m’ajouter sur Facebook. J’ai dit que je ne préférais pas. Puis il est allé voir Alex, qui était avec moi, pour lui demander s’il pouvait l’ajouter, lui. Mais il a dit non. Le gars a quand même fini par nous trouver sur les réseaux sociaux et a commencé à nous envoyer des messages pour qu’on se voie. Je nelui ai jamais répondu et Alex a clairement dit que ça ne ­l’intéressait pas. Quelques semaines plus tard, je rentrais à la ­maison, le soir. Il n’était pas tard, mais il faisait déjà sombre.

Je m’apprêtais à traverser la rue quand quelqu’un m’a barré la route. C’était ce type du bar. Il a commencé à hurler mon nom et d’autres choses ­incompréhensibles, il me criait de m’arrêter. Tout s’est ­passé si vite que j’ai à peine eu le temps de réaliser. J’étais tellement effrayée que j’ai couru jusqu’à la porte.

Sous le choc, je suis montée me mettre à l’abri. Je ne me suis même pas retournée pour voir s’il me suivait. Je ne sais toujours pas si c’était une coïncidence ou s’il m’a vraiment repérée dans la rue et suivie. J’ai eu très peur pendant un moment après ça, surtout qu’il savait où je vivais. Mais je ne l’ai plus jamais revu. Peut-être que ma réaction lui a fait prendre conscience qu’il agissait comme un crétin.

Un bic en poche

Après coup, j’étais en colère contre moi-même. Déçue. On y pense parfois: ‘Si quelque chose comme ça arrive, je fais quoi?’ Normalement, je ne suis pas du genre à mâcher mes mots. J’avais toujours espéré que j’aurais plus de ­courage dans une telle situation, que je remettrais le mec à sa place. Mais le fait est que vous ne pouvez pas ­contrôler votre réaction quand vous avez peur. J’ai eu peur, j’ai sursauté, il faisait sombre, c’était près de chez moi... Vous savez, ces hommes qui nous sifflent ou balancent des insanités, j’y suis presque habituée… Mais je n’ai pas réussi à passer au-dessus de cet incident-là si facilement. Je n’osais plus rentrer seule à la maison et je me sentais vulnérable. Je me souviens d’un conseil de mon père quand j’avais 13 ans: ‘Ma chérie, assure-toi d’avoir toujours un bic en poche, pour pouvoir te défendre si nécessaire.’ Sur le ­moment, j’avais pensé que c’était stupide. Maintenant, je vois les choses autrement. Je trouve ça ahurissant de ­devoir donner un conseil pareil à une fille de 13 ans. Qu’est-ce que ça dit de notre société que les parents ­s’inquiètent de la sorte pour leurs ados? Et que les filles soient victimes de harcèlement aussi souvent? Ça me rend folle. Et oui, j’ai toujours un bic dans ma poche… »

Line, 39 ans, peut citer dix fois où elle a été harcelée en rue. Et non, elle ne l’avait pas cherché.

« Quand j’avais 12 ans, un homme d’une trentaine d’années m’a demandé s’il pouvait ‘me mettre un doigt’. Quand j’avais 16 ans, avec mes copines, on s’est fait suivre pendant des semaines à la sortie de l’école par un mec en moto qui nous disait qu’on avait ‘des seins sublimes’. À 18 ans, des inconnus m’ont agrippé les seins alors que je ­traversais la foule à un festival. Sept ans plus tard, vers 1 h du matin, quand je retournais à ma voiture après avoir dit au revoir à mes amis, un homme s’est approché de moi et m’a dit qu’il voulait me baiser. Il m’a expliqué, sans gêne, qu’il m’avait suivie pendant cinq heures: il m’a décrit en détail où j’avais été et avec qui. J’étais terrifiée. Depuis, je me gare toujours dans le ­parking le plus central des villes où je voyage, peu importe le prix. L’autre jour, un homme, dans un magasin, est venu me chuchoter à l’oreille qu’il voulait que sa femme ait des courbes comme les miennes. Nous, les femmes, sommes rabaissées presque toute notre vie et c’est comme ça. Et je ne parle même pas de tous les commentaires déplacés que j’ai dû affronter au travail. J’ai ma propre entreprise en tant que consultante en gestion, où j’aide les PDG à faire évoluer leur société, à la faire croître plus rapidement. À un ­moment, j’ai décidé de ne plus laisser passer les blagues sexistes, les abus de pouvoir et les allégations douteuses. Quand ça se produit, j’interviens, je ne me tais plus. ­J’estime même que c’est mon devoir.

Des bêtes sauvages

Une fois, en partant de chez un client, un type a sauté ­devant moi en baissant son pantalon et en agitant son pénis dans ma direction. Je l’ai ignoré et j’ai poursuivi ma route, mais il a continué à s’exhiber devant moi et à me suivre. Le lendemain, quand j’ai raconté cette drôle ­d’aventure lors d’une réunion avec mon client, j’ai eu une réaction commune de la part de tous les hommes: ‘tu n’exagères pas un petit peu?’ Non, nous n’exagérons pas, nous ne créons pas de situations. Le problème, ce n’est pas nous. Et je commence à en avoir assez de ces ­réactions, même si, dans un sens, je les comprends. La plupart des hommes que je connais sont des personnes respectueuses, intelligentes et empathiques qui ­n’agiraient ­jamais de la sorte, et qui ont donc du mal à imaginer que quelqu’un aille aussi loin. Ces hommes-là se sentent presque personnellement attaqués quand vous leur ­parlez de machisme, de sexisme ou d’agression. Je les comprends, ils n’ont rien fait. Mais ils doivent aussi être conscients que les hommes mal intentionnés courent les rues.

Le harcèlement arrive aussi à des femmes ­matures, fortes, qui aiment les hommes et qui savent ­(normalement) les gérer… comme moi (rires). Et, pour être tout à fait honnête, moi aussi, il m’arrive de rester figée quand quelque chose comme ça se produit, tellement je suis sous le choc. C’est une réaction normale de panique.

Il est important que les jeunes femmes en prennent conscience, car nous nous sentons souvent ­coupables de ne pas avoir mieux réagi. On a le droit d’être en état de choc si quelqu’un touche nos seins ou nos fesses sans y être invité. C’est pour ça que je partage mes histoires. Même les hommes droits dans leurs bottes doivent ­réaliser ce qui nous attend à chaque coin de rue. Car ils doivent être nos alliés: demander des comptes aux bêtes sauvages qui nous harcèlent, soutenir les ­collègues et les amies lorsqu’ils sont les témoins d’actes irrespectueux, nous croire quand on parle de harcèlement. Ce n’est que comme ça que quelque chose changera. »

Haya, 27 ans, s’est fait tripoter il y a quelques temps et elle en a assez: elle va quitter son quartier.

« Je vis en Belgique depuis presque six ans, dont environ un an et demi dans le même ­quartier. J’ai l’impression qu’être dévisagée, sifflée ou interpellée a toujours fait partie de ma vie d’adulte, mais ici, ça a encore empiré. Il y a quelques mois, on m’a pelotée pour la première fois de ma vie. Ça m’a paru extrêmement violent comme ­expérience. C’était une journée ensoleillée du début du mois d’avril: je portais un short court – même si je ne ­devrais pas le préciser – et je promenais mon chien, à une rue de chez moi. C’est ça le pire dans l’histoire: c’est ma maison, l’endroit où je vis et je devrais m’y sentir en ­sécurité. Il était environ 17 h 30. Et j’ai, soudain, remarqué un homme derrière moi. Je suis toujours vigilante à mon ­environnement: je sais s’il y a des gens autour de moi et où ils se trouvent... Comme j’avais mon GSM en main, j’ai ­pensé qu’il voulait me le voler. Mais au moment où je me suis retournée pour le scruter, j’ai senti son visage tout près de moi et ses mains sur mes fesses. Je vois encore son visage: la mâchoire serrée, comme s’il prenait son pied. C’est ­primordial que l’on souligne qu’un tel ­comportement est problématique. Ce n’est pas à moi de me sentir honteuse pour ce qui s’est passé, mais à lui. Pour la ­première fois, j’ai ressenti le besoin de me venger, alors j’ai commencé à le poursuivre. Au début, il était ­rapide! Je criais à tout rompre: ‘Stop, somebody stop him, he ­grabbed me!’ (ndlr: ‘Stop, que quelqu’un l’arrête, il m’a agressée!’) Le lendemain, j’avais mal à la gorge tant j’avais crié fort. Je ne sais pas pourquoi la phrase m’est venue en anglais. Il a ­sûrement pensé que j’étais folle, mais je m’en fiche. Je ne comptais pas le laisser s’en tirer si facilement…

Je porte ce que je veux

C’est un homme en scooter qui a fini par l’arrêter. Il ­trouvait aussi ce comportement déplacé, mais il a excusé mon agresseur: ‘Il est encore jeune, laissez-le tranquille, il faut lui pardonner.’ J’ai dit que j’étais d’accord de le ­laisser ­partir si je pouvais le gifler. Mais ils ne m’ont pas laissé faire, et finalement le coupable est parti. J’ai marché ­durant un moment… J’espérais le retrouver et appeler la police, mais encore une fois, pourquoi? Je savais que ce serait ma parole contre la sienne et que la police ne ­pourrait pas y faire grand-chose. J’espérais juste que le mec se sentirait tellement gêné suite à ma réaction qu’il réfléchirait à dix fois la prochaine fois qu’il serait tenté de faire la même chose à d’autres filles. Malheureusement, le harcèlement est presque quotidien ici. Je suis d’origine ­syrienne, mais je m’habille comme j’en ai envie, en top et mini-short quand il fait chaud.

Certains garçons sont ­élevés avec l’idée que ce type d’habillement est une ­invitation à nous ­toucher… Pourtant, je ne changerai ­jamais ma façon de m’habiller. Je fais ce que je veux car je suis une femme forte. J’ai un doctorat et je vaux autant que n’importe quel homme. J’ai le même droit que ­quiconque de marcher dans la rue, quand et comme j’en ai envie.

Mais quand même, on a le sentiment d’être seule à se battre et c’est un combat qu’on ne peut pas gagner seule. Je ne peux pas changer la mentalité des hommes à moi toute seule. J’aime mon appart’, j’aime mon quartier, mais j’en ai assez. Assez de ne pas me sentir en sécurité dans la rue et d’être sur la défensive. Du coup, j’ai ­commencé à chercher un autre endroit où vivre. J’ai ­l’impression de baisser les bras et je trouve ça ­dommage, mais je ne vois pas d’autre solution. »

Michelle, 23 ans, a été harcelée par un cycliste en plein jour.

« C’était il y a trois ans environ, je venais d’avoir 20 ans. La veille, j’étais sortie avec des amis et, comme je ne voulais pas rentrer seule à la maison, j’avais laissé mon vélo sur place et mon ­copain de l’époque était venu me chercher. Vers 16 h ce ­dimanche-là, il m’a déposée pour récupérer mon vélo. J’ai mis mes écouteurs et pris la route touristique le long de l’eau, un itinéraire prisé par de nombreuses familles. J’ai entamé mon trajet de retour à la maison. À un moment, dans une petite descente, il y avait une grande flaque devant moi et je me suis mise sur le côté pour laisser passer le cycliste qui arrivait. Et brusquement, on m’a poussée. J’ai tout juste réussi à poser mon pied et ma main au sol. J’ai d’abord pensé que c’était ma faute, et j’ai commencé à m’excuser auprès de l’homme, plus âgé. Jusqu’à ce que je réalise qu’il essayait de me ­toucher. Il m’a dit: ‘Tais-toi, regarde devant toi, je vais te toucher la chatte. Je vais te toucher maintenant.’ C’était dégoûtant. Je suis de nature assez féroce, mais ces paroles m’ont vraiment scotchée. J’étais choquée que ça ­m’arrive à moi, à deux pas de chez moi, et je n’ai pas réagi tout de suite. Finalement, je me suis mise à crier: ‘Ne m’approchez pas, je vais appeler la police’, mais il a continué à essayer. Puis je lui ai attrapé la main, me suis rapprochée de lui d’un pas sûr et lui ai hurlé au visage: ­‘Arrêtez ou j’appelle la police!’ Et il est parti. Je me suis mise à pleurer et j’ai ­appelé mon copain. Il est venu me rejoindre et on a appelé la police ensemble, avant de parcourir le quartier à la ­recherche du coupable. Mais on ne l’a pas retrouvé.

Pas par là

Apparemment, c’était un quartier réputé un peu ­dangereux, mais je ne le savais pas. J’étais vraiment ­choquée que ça ait pu se produire en pleine journée. Je n’ai pas eu beaucoup de temps pour ruminer cette ­mésaventure. Le lendemain, je commençais un stage dans un grand ­hôpital d’une ville voisine: durant plusieurs semaines, j’ai dû prendre mon vélo dans l’obscurité pour aller jusqu’à la gare très tôt le matin. Et chaque matin, je devais dépasser ma peur. Pendant ce stage, j’ai dû laisser le problème ­derrière moi: en tant qu’infirmière, vous êtes amenée à côtoyer de très près des hommes (mûrs). Et ça m’arrive encore souvent de vivre des expériences déplacées. ­

Parfois, les hommes pensent qu’il est normal de dire des choses comme: ‘Je suis si proche de votre poitrine, ça me donne envie de la toucher.’ Mais je suis ferme, et je ­réponds: ‘Monsieur, surveillez votre langage. C’était peut-être acceptable à votre époque, mais ça ne l’est plus ­aujourd’hui.’

Après trois mois, l’affaire a été classée sans suite, malgré une bonne description de mon agresseur et le fait que j’ai pu l’identifier sur une photo. Je me suis ­dépêchée pour obtenir mon permis de conduire et ­acheter une voiture. Quand je peux, je conduis, même si je sors avec des copines. Je fais BOB, parfois, pour ne pas avoir à ­pédaler. Je passe par l’endroit de mon agression quasi tous les jours, et je vérifie toujours si je ne vois pas cet homme. Je préviens aussi mes amies de ne pas passer par là. Quand je fais du vélo, j’active ma géolocalisation et je l’envoie à quelqu’un de confiance. Pendant un an, je me suis carrément baladée avec un spray au poivre, même si c’est illégal. Qu’est-ce que j’étais censée faire? Dans un sens, je me sens chanceuse que ça n’ait pas été plus loin, mais cette peur… on ne s’en débarrasse pas si facilement! »

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