Témoignage: ““J’ai harcelé une de mes camarades de classe””
Après une dispute à l’école primaire, Lola, 20 ans, a fait vivre un enfer à son ancienne amie Clara et monté leur classe contre elle. Un rejet, puis un harcèlement permanent, qui a fini par pousser Clara à faire une tentative de suicide. Elle a heureusement survécu, mais cet événement dramatique hante encore Lola aujourd’hui.
“Clara était l’une de mes meilleures amies. On était dans la même classe, on jouait souvent ensemble le mercredi après-midi et elle était présente à toutes mes fêtes d’anniversaire. Je trouvais qu’elle était une fille géniale, mais tout le monde à l’école ne partageait pas mon opinion. Et il lui arrivait d’être rejetée à cause de ses kilos en trop, qui la rendaient plus rondelette que les autres élèves.
Clara était calme, silencieuse, elle manquait de confiance en elle. Et éprouvait des difficultés à établir un contact avec les autres et à nouer des amitiés. Lorsqu’on se moquait d’elle, elle se laissait faire, ne se défendait jamais.
À cette époque, j’étais l’une de ses rares amies, peut-être même la seule. Alors pour compenser sa solitude, elle s’est plongée dans un monde virtuel. Lorsque nous étions à deux, elle me racontait des histoires dingues sur les gens qu’elle rencontrait en ligne. J’avais 12 ans et je trouvais étrange et malsain qu’elle parle à des types beaucoup plus âgés qu’elle. Je ne voulais pas être impliquée dans ses activités sur le web. Mais ce que j’ignorais, c’est que sous son pseudo, Clara utilisait mes photos.
Une moins que rien
Je ne me souviens pas comment je l’ai découvert, mais lorsque je l’ai appris, j’étais furieuse contre elle. Elle avait abusé de ma confiance et je me sentais trompée, dégoûtée. J’étais une enfant et je ne savais pas comment lui en parler posément et la sommer de ne plus recommencer. Je n’avais aucune idée de la façon d’aborder le problème. Alors, à partir de ce moment, j’ai pris de la distance. Je me suis détournée d’elle et Clara est restée seule. Nous ne nous parlions plus en dehors de l’école et je l’ignorais pendant les heures de cours. Mon but n’était pas de la harceler, mais indirectement, c’est ce que j’ai fait. J’ai commencé à monter toute notre classe contre Clara, déjà loin d’être populaire auprès des autres élèves. Je leur ai raconté ce qu’elle avait fait et les ai convaincus que son comportement n’était pas normal. Ils ont choisi mon camp et ont commencé à considérer Clara comme une moins que rien. Elle qui n’était déjà pas très aimée au départ, a fini par n’avoir plus personne vers qui se tourner.
Comme si elle n’existait pas
Clara était de plus en plus exclue. Elle était toujours la dernière à être choisie au cours de gym ou lors des travaux de groupe. Cela peut sembler insignifiant vu de l’extérieur, mais être rejetée par toute une classe doit être horriblement dur. Je le réalise aujourd’hui. Cette même année, nous sommes partis dix jours en voyage scolaire au ski. Avant le départ, chacun devait donner les noms de ceux avec qui il voulait partager sa chambre. Clara n’a été désignée par personne, alors elle a été ajoutée là où il restait une place. Elle était la cinquième roue du carrosse. Pendant les repas, nous ne la regardions pas, ne lui parlions pas. Nous agissions comme si elle n’existait pas. Je ne me mettais pas à la place de Clara, je ne songeais pas à la manière dont elle pouvait vivre cette situation. Mais quelques semaines avant la fin de l’année, ses sentiments sont soudain apparus cruellement évidents.
La goutte d’eau
C’était la récré du matin du 2 juin. La cloche a sonné et nous nous sommes rangés à la hâte. Nous étions tout un groupe, à attendre que le professeur de religion vienne nous chercher, lorsque j’ai entendu un élève crier ‘Regardez là-haut!’
Avant même que je lève les yeux, Clara était allongée sur le sol, inerte. Elle avait sauté d’une fenêtre du dernier étage, à six mètres de haut. À partir de ce moment, tout est devenu flou. J’étais submergée par la culpabilité.
Est-ce que c’était à cause de notre attitude? Est-ce que j’étais la goutte d’eau qui avait fait déborder le vase de sa tristesse? Avant que je la repousse, elle se sentait déjà mal dans sa peau, c’est vrai, mais pas au point de faire une tentative de suicide. Clara a été transportée à l’hôpital et de mon côté, j’ai dû rentrer à la maison en état de choc. Je ne suis pas retournée à l’école durant une semaine, mais cela n’empêchait pas les images de tourner en boucle dans ma tête. Je ne parvenais à penser à rien d’autre. Et je ne pouvais pas en parler à mes parents car ils n’avaient aucune idée de ce que j’avais fait vivre à Clara. Ils savaient seulement que nous avions moins de contact, mais ça s’arrêtait là. C’est seulement lorsque les parents de Clara ont sonné à notre porte pour dire que le harcèlement que j’avais fait subir à leur fille l’avait presque conduite à sa mort, que les masques sont tombés et que je n’ai plus pu me cacher.
Une fille horrible
Ce qui est arrivé à Clara ce jour-là a tout changé. Je me suis retranchée derrière un mur, ne laissant plus personne être proche de moi. Ma relation avec ma mère s’en est retrouvée dégradée. Elle tentait de me comprendre, mais je refusais de lui parler, de me confier à elle. Je ne voulais plus être cette fille-là. Je ne supportais plus l’image de peste que me renvoyait le miroir. Alors je me suis coupé les cheveux et j’ai adopté un autre style vestimentaire, mais cette métamorphose n’a rien changé. Je me sentais toujours terriblement mal et coupable. L’été qui a suivi, je n’ai plus eu de nouvelles de Clara, mais le hasard a voulu que nous choisissions le même lycée. Il a rapidement été clair que mon passé allait continuer à me hanter.
Tout le monde savait ce que j’avais fait et j’étais considérée comme une fille horrible. J’étais devenue la moins que rien.
Mes seuls amis étaient ceux de l’école primaire. Je ne rencontrais pas grand monde et j’ai commencé à me sentir de plus en plus mal. Arrivée en 3e secondaire, je n’y arrivais plus, j’étais à bout et j’ai dû aller voir un psychologue pour ne pas sombrer. J’avais le sentiment de tomber dans un trou noir.
Payer pour mes actes
Il a fallu des années avant que je puisse parler de cette histoire sans être jugée et condamnée. Au lycée, les autres élèves me blâmaient avant même de m’avoir rencontrée. C’était sûrement la punition que je méritais pour mes actes. Mais il me fallait travailler sur moi-même pour parvenir à avancer. J’ai heureusement rencontré un bon psychologue, qui m’a aidée à faire face. Le sport m’a également permis de m’apaiser. C’est le meilleur moyen pour moi de me vider la tête. Je commencerai d’ailleurs bientôt à travailler en tant que coach et entraîneur personnel. Je veux aider les gens en difficulté. Mais je n’oublierai jamais qu’à 12 ans, j’ai harcelé et persécuté quelqu’un. Même si je n’aurais jamais imaginé que cela engendre une telle escalade. On me demande parfois si je me suis excusée. Non, je ne l’ai pas fait. J’ai revu Clara, de loin, à un festival. Elle semblait s’amuser et c’était tout ce qui comptait pour moi. Mais si elle lit ces lignes, j’aimerais qu’elle sache que je suis désolée et que je n’ai jamais voulu lui faire autant de mal.”
Texte: Marijke Clabots et Barbara Wesoly Photos: Leen Van Den Meutter
À lire aussi:
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici