Témoignage: Jessica a perdu sa maman lors des attentats du 22 mars
Le 22 mars 2016 est inscrit dans notre mémoire collective. Deux ans après cette terrible journée, que deviennent les victimes et leurs proches? Jessica, 31 ans, nous ouvre son coeur. Elle n’a appris que 4 jours après les attentas que sa maman était décédée.
“Ma maman était ma meilleure amie. Elle était la personne la plus importante de ma vie. On pouvait discuter pendant des heures, mais on se comprenait aussi sans rien dire. Elle avait le cœur sur la main et était toujours prête à aider son prochain. Elle était trop bonne pour ce monde… C’était quelqu’un de sensible, qui n’aimait pas les drames ni les gens égoïstes, elle aimait la convivialité, la générosité. Elle travaillait comme vérificatrice de billets chez Aviapartner, un travail qu’elle adorait! Elle adorait aussi ses collègues, mais depuis les attentats de Paris du 13 novembre 2015, elle craignait que l’aéroport de Zaventem soit la prochaine cible des terroristes. Il y avait beaucoup de passage, surtout la matinée. Maman se tracassait beaucoup pour ça. Elle avait peur, à un point tel qu’elle ne voulait plus faire les shifts du matin”.
Ne pas dramatiser
J’étais en train de repasser lorsque mon mari, Thomas, m’a appelée dans la matinée du 22 mars 2016 pour m’annoncer qu’il y avait eu une explosion à l’aéroport de Bruxelles. Il m’a demandé si ma maman travaillait ce jour-là, mais je n’en avais aucune idée, car ses horaires changeaient constamment. Je savais juste que c’était son dernier jour avant de partir en vacances avec papa. Dès que j’ai raccroché, j’ai essayé d’appeler ma maman, mais mes appels restaient sans réponse. J’ai directement imaginé le pire.
Thomas m’avait parlé d’une petite explosion, pas d’une attaque terroriste. Peut-être que maman était blessée, ou qu’elle n’avait pas son téléphone portable dans sa poche. De plus, le réseau téléphonique était surchargé. Puis, j’ai eu mon frère Laurent en ligne… Il m’a appris qu’il y avait eu une seconde explosion. Là, la panique s’est emparée de moi. Maman n’avait toujours pas donné signe de vie. Elle n’avait pas Facebook, mais j’ai réussi à contacter certains de ses collègues par ce biais. Selon eux, maman devait travailler jusque six heures, et elle était déjà sûrement rentrée à la maison. Ça m’a rassurée un moment… jusqu’à ce que je parle à mon père.
Il m’a dit que maman avait remplacé une collègue et que son shift commençait vers huit heures. Soit une minute et demi avant que la première bombe n’explose. (silence). Je ne voulais pas m’imaginer ça… À ce moment-là, je pensais encore que maman était trop occupée pour nous répondre.
Pur chaos
Puisque personne n’arrivait à la joindre, notre famille a décidé de se rassembler chez mes grands-parents à Liège. J’avais encore beaucoup d’espoir, je m’imaginais revoir maman et la serrer dans mes bras, mais mon père, lui, s’imaginait le pire des scénarios. J’étais sous le choc. Étais-je la seule qui pensait encore qu’elle allait rentrer à la maison? Laurent et Thomas se sont rendus dans tous les hôpitaux autour de Louvain et de Bruxelles avec une photo de maman, mais les hôpitaux n’étaient pas autorisés à divulguer des informations.
Nous avons appelé le numéro de crise à plusieurs reprises, mais on nous disait que son nom ne figurait pas dans la liste de victimes. Chez Aviapartner, on nous a d’abord dit que tous leurs employés étaient sains et saufs, avant de nous appeler à nouveau pour nous dire qu’ils ne trouvaient pas maman. À un moment, nous avons reçu un message de l’hôpital pour nous dire que maman était sur leur liste, mais finalement, il s’est avéré qu’il s’agissait d’une autre Fabienne. C’était n’importe quoi! Personne ne pouvait nous donner la bonne information.
Finalement, nous avons appris via les médias que maman était morte, alors qu’on ne le savait même pas encore…
Seulement deux jours après la fuite des informations dans la presse, mon parrain – qui connaît quelqu’un de l’équipe d’identification des victimes de catastrophes – a obtenu la confirmation officieuse que maman était l’une des victimes décédées. Mon parrain était sans voix, mais j’ai compris en voyant son visage. Je me suis immédiatement effondrée. Je ne pouvais plus m’arrêter de pleurer. Qu’elle ne soit plus là était impensable pour moi.
Message après la mort
Ce qui m’a le plus blessée, c’est que ma maman était restée toute seule à l’hôpital pendant tout ce temps. Sans famille. Je me sentais tellement coupable, comme si je l’avais abandonnée.
Je savais que maman était morte, mais malgré tout j’ai envoyé des messages sur son téléphone pour dire qu’on avait tout fait pour la retrouver, et qu’elle allait terriblement me manquer.
Une semaine plus tard, son corps nous a été rendu. J’avais très peur de ne pas la reconnaître, mais nous avons pu lui dire au revoir d’une belle manière. Je suis allée la voir plusieurs fois avec mon parrain, mon mari, mon frère, et j’ai organisé ses funérailles. Son cercueil était entouré de roses et nous avons mis sa chanson préférée. Nous ne voulions pas que ce soit triste. Il y a eu des larmes, bien sûr, mais nous nous sommes rappelé des beaux souvenirs. Le lendemain, maman a été incinérée, comme elle l’aurait voulu.
Pas le temps de faire son deuil
Maman a laissé un vide que je ne peux pas décrire avec des mots. La vie continue, mais rien n’est plus pareil sans elle. J’essaye d’être forte, même s’il y a des hauts et des bas. J’ai recommencé à travailler deux semaines après les attentats. Je suis dans l’enseignement et je voulais continuer à travailler vite pour ne pas me noyer dans mes pensées, mais ça n’a pas été facile. J’ai des problèmes de concentration et de mémoire, et le stress fait battre mon cœur trop rapidement. J’ai travaillé à temps plein jusqu’en décembre 2017, mais je pense que je dois lever le pied, parce que ça devient trop lourd.
Après la mort de maman, le cauchemar des démarches administratives a commencé. Nous avons reçu une tonne de documents, sans savoir à quoi ils devaient servir. Notre couple est bilingue et mes grands-parents sont néerlandophones. Il y d’abord eu un problème de ce côté-là car les dossiers dans les deux langues n’étaient pas liés et notre dossier était introuvable. De quoi devenir fous! On a fini par embaucher un avocat, pour me décharger un peu des tâches administratives. Au début, je n’allais pas chez un psychologue, parce que je ne pouvais pas me le permettre. Mais tant que je ne cherchais pas d’aide, on considérait que donc, j’allais bien. Maman est morte et je dois prouver que je ne vais pas bien! Il y a quelque temps, nous avons reçu un message pour nous dire que nos frais médicaux seraient intégralement remboursés, mais je n’ai encore rien reçu. Ce qui signifie que nous devons à nouveau passer plusieurs coups de fil et raconter la même histoire à nouveau, pour obtenir ce à quoi nous avons droit. Mais que font-ils? À cause de tout ce micmac, nous n’avons même pas le temps de faire notre deuil.
Aucune compensation
Nous sommes près de deux ans après cette terrible journée, mais nous n’avons encore reçu aucune indemnisation pour la mort de maman. C’est difficile de donner une valeur financière à un tel drame, car il n’existe pas de cadre juridique pour les victimes de terrorisme. Les experts se basent sur le montant que les proches parents des victimes d’un accident de voiture perçoivent, qui est d’un peu plus de 100.000 €. Il s’agit du montant maximum et nous devons vraiment nous battre pour l’obtenir. Mes grands-parents n’ont pas droit au même montant, alors qu’ils ont perdu leur fille.
C’est un vrai cirque et nous ne savons pas combien de temps cela va encore durer. Cela peut prendre encore des années, mais cette indemnisation ne fera pas revenir maman. On dit que les blessures guérissent avec le temps, mais je ne crois pas que la douleur puisse un jour disparaître. C’est aussi dû à la manière dont maman est partie. Elle n’est pas morte directement. J’ai récemment regardé des images de ce jour. Maman a essayé de fuir après la première bombe, mais a été touchée par un morceau de métal dans le bas du dos lors de la seconde explosion. Elle est tombée, a essayé de se traîner en avant, mais une minute plus tard elle saignait à mort. Mon cœur se brise quand je pense qu’elle a souffert. Qu’a-t-elle dû penser pendant à ce moment-là? Était-elle en panique? Pensait-elle à nous? Il y a tant de questions auxquelles je n’aurai jamais de réponse.
Une vie avant et après le 22 mars
Pour moi, il y a vraiment une vie avant et après le 22 mars 2016. Depuis les attentats, je souffre de crises d’angoisse, même si je n’étais pas sur place. Quand je suis en voiture, j’ai peur d’avoir un accident et de ne pas pouvoir protéger mes enfants. Lorsque je mange au restaurant avec mon mari, je préfère qu’on y aille avec deux voitures, pour que l’un des deux survivent si l’autre a un accident. Parfois, je me réveille en plein milieu de la nuit comme si j’entendais un énorme bruit alors qu’il fait tout à fait calme dans la maison. Thomas doit parfois séjourner à l’étranger pour le boulot. Quand ça arrive, je m’enferme dans la chambre avec ma fille Louise et mon fils Olivier, juste par précaution.
Je ne suis pas à l’aise dans les lieux publics. Je dois me préparer mentalement et je regarde constamment autour de moi pour voir si je ne vois rien ni personne de suspect. À Noël dernier, j’ai reçu un place de concert, mais j’ai refusé de m’y rendre alors que j’adorais ça autrefois. Je fais aussi peu de plans que possible car j’ai peur de ne pas pouvoir les réaliser. J’ai le sentiment que je vais mourir jeune, comme maman.
Rêver de maman
Pas un jour ne passe sans que je pense à maman. Elle est constamment dans mon esprit. Je pense que c’est aussi la raison pour laquelle j’ai tant de mal à me concentrer. Mes enfants aussi souffrent de la situation. Louise pose régulièrement des questions sur sa grand-mère. Elle avait 4 ans au moment des attaques et Olivier presque 2. À l’époque, nous avons essayé d’expliquer à Louise ce qui était arrivé à sa grand-mère. Les enfants sont aussi très sensibles en ce qui concerne mon père. Quand on lui dit au revoir, Louise pleure toujours. Je rêve aussi beaucoup. Pas seulement de maman, mais je rêve que je cherche quelque chose que je ne trouve pas. À côté de mon lit, je garde depuis deux ans un t-shirt avec son odeur. Je n’envisage pas une seconde le mettre un jour dans la machine à laver…”.
Texte: Marijke Clabots et Justine Rossius.
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