Témoignage: la mère de Brianna, 23 ans, l’a rendue volontairement malade quand elle était enfant
Pendant toute sa jeunesse, Brianna, 23 ans, a cru être atteinte d’une foule de maladies. Elle a consulté de nombreux médecins et passé des heures à l’hôpital sans savoir ce qui était à l’origine de ses problèmes. Jusqu’à ce qu’elle découvre que sa mère, atteinte du syndrome de Münchhausen par procuration, était la cause de la plupart de ses soucis.
“J’ai passé la majeure partie de mon enfance avec ma mère et ma sœur, mon aînée de 12 ans. Mon père travaillait comme chauffeur routier. Il n’était presque jamais à la maison. Je n’ai jamais connu une vie normale. Dès ma naissance, je suis devenue la victime du comportement déviant de ma mère. Les dossiers médicaux, dont je n’ai connaissance que depuis un an, montrent que les premiers abus commis par ma mère ont commencé quand j’avais une semaine.
À peine sortie de la maternité, elle m’a emmenée chez le médecin. Selon elle, j’avais la coqueluche. Mais quand le médecin a voulu me faire une piqûre pour me soigner, ma mère a prétendu que j’étais allergique.
Elle est retournée chez le médecin plusieurs fois avec moi au cours de cette période. Chaque fois, elle répétait que j’avais les symptômes de la coqueluche et de l’asthme. Or, c’était complètement faux. Elle ne s’est pas arrêtée là. Elle m’a presque laissé mourir de faim pour pouvoir y retourner et se plaindre que je ne grossissais pas. Elle lui expliquait que je vomissais tout ce qu’elle me donnait à manger. Quand j’ai eu un an, ma mère a raconté que je ne voulais manger que des fruits et du poisson. Selon elle, j’étais quasi végétarienne. D’autres fois, elle a dit que j’étais intolérante au lactose avant d’affirmer, peu de temps après, que je ne voulais boire que du lait. Elle m’a imposé les régimes les plus étranges. Selon elle, tous mes problèmes de santé étaient dûs au fait que j’étais née deux mois avant terme.
Manipulatrice
Ma santé a empiré. À l’âge d’un an et demi, j’ai été hospitalisée suite à de graves signes de malnutrition. Les médecins ont essayé de me nourrir de force, mais j’ai refusé d’avaler tout ce qu’ils tentaient de me mettre dans la bouche. Je ne sais pas comment elle s’y était pris, mais ma mère était parvenue à m’obliger à vomir. Par la suite, j’ai reproduit ce mécanisme. J’étais dans un tel état qu’ils ont finalement dû me nourrir par sonde pour que je reprenne des forces. Jusqu’à l’âge de 4 ans, ma mère ne m’a jamais laissée seule. Même quand je me suis retrouvée à l’hôpital, elle ne m’a jamais quittée. De peur que je ne parle ou que quelqu’un ne remarque son manège, elle ne laissait personne me nourrir. Comme la plupart des personnes atteintes du syndrome de Münchhausen par procuration, ma mère était aussi extrêmement manipulatrice. Elle a réussi à cacher son jeu pendant longtemps.
Plainte et menaces
Ma mère ne s’en est pas prise qu’à moi. Apparemment, l’ablation de la vésicule biliaire qu’elle a fait subir à ma sœur n’était pas nécessaire, elle non plus. Pendant un certain temps, des membres de ma famille ont pris ma sœur sous leur aile pour la protéger de ma mère. Certains étaient conscients qu’elle nous maltraitait et qu’elle souffrait de problèmes psychologiques. Mais par honte et par peur des commérages, ils ont préféré faire de sa maladie un secret de famille. Peu de temps après ma naissance, ils ont tenté de m’éloigner d’elle, mais comme ma mère les a menacés, ils ont fini par abandonner, pour protéger leur propre famille. Par la suite, ils sont restés à l’écart. Ça lui a donc permis de continuer à me faire souffrir.
Quand ma mère a pensé que mon père pouvait avoir des doutes, elle l’a accusé d’abus sexuel pour qu’il soit obligé de rester loin de moi.
Elle a retiré sa plainte peu de temps après, mais son plan a tout de même réussi. Mon père est allé vivre dans un autre quartier. Ma mère et lui ont divorcé. Il y a quelque temps, je l’ai recontacté et nous en avons parlé. Apparemment, papa soupçonnait que quelque chose n’allait pas, mais il était loin de la vérité. C’est ce qui explique qu’il n’ait jamais rien fait pour me protéger. Aujourd’hui, il se sent encore très coupable.En primaire et secondaire, l’école aurait pu être mon refuge. J’ai essayé d’y aller le plus souvent possible, mais ma mère ne me laissait pas suivre les cours plus d’une semaine d’affilée. Quand les profs ou la direction posaient des questions, maman avait toujours une explication toute faite pour justifier mes absences. Selon elle, j’étais une enfant fragile et tout le temps malade.
Pour attirer l’attention
Pendant ma jeunesse, ma mère m’a emmenée dans de nombreux hôpitaux. J’ai vu des dizaines de médecins différents. À l’école, j’allais presque quotidiennement à l’infirmerie pour me plaindre de maux de tête ou d’autres douleurs. Certaines de ces plaintes étaient psychosomatiques. Les années d’abus et de comportement manipulateur de ma mère m’avaient conditionnée. J’étais réellement convaincue que j’étais malade.
Pendant des années, j’ai cru que je souffrais d’asthme sévère et que je devais prendre les stéroïdes que ma mère m’avait fait prescrire. Idem pour l’étrange ‘maladie du sang’ qui, selon elle, expliquait que je me sente toujours mal.
Comme tous les enfants, j’ai cru ce que ma mère m’avait dit vrai. Comment aurais-je pu douter de ses bonnes intentions et imaginer que c’était elle qui me rendait malade ? Dans mon esprit, elle était la seule qui semblait prendre ma douleur au sérieux. J’avais évidemment de réels problèmes. Mais tout le monde pensait que lorsque j’exprimais ma douleur, je voulais simplement me faire remarquer. Personne ne semblait me croire. Ils prétendaient tous que je voulais juste attirer l’attention sur moi. À leurs yeux, la manipulatrice, c’était moi. Pendant toute mon enfance, on a essayé de m’intimider. On me disait constamment que j’affabulais. Personne ne savait que c’était ma mère qui était malade.
Alcoolisme et enfance difficile
Je ne sais toujours pas comment maman a contracté ce syndrome. Sa propre enfance, plutôt difficile, a peut-être créé un malaise psychique chez elle. Ou peut-être est-ce le grave problème d’alcoolisme auquel elle est confrontée depuis très jeune qui a tout déclenché ? Quand elle était sous l’influence de l’alcool, j’avais parfois très peur d’elle. Dans ces moments-là, elle affichait un étrange sourire qui me faisait immédiatement comprendre que je ferais mieux de me tenir à distance. À l’époque, je ne savais pas encore qu’elle était à l’origine de mes soucis de santé. À l’âge de 14 ans, suite à une énième crise de boisson de maman, la police m’a éloignée d’elle.
Une opération très lourde
Suite à cet incident, elle a manipulé notre entourage. Au final, tout le monde – moi comprise –était convaincu que j’avais de graves problèmes de dos et qu’elle était la seule à pouvoir prendre soin de moi. Pendant un an, elle est allée consulter de nombreux médecins et kinésithérapeutes. Elle m’a aussi fait prescrire une tonne de médicaments en tous genres. Au bout du compte, j’ai fini par ressentir une vraie douleur. À force de persuasion, elle a convaincu un médecin de m’opérer. J’ai donc subi une intervention au niveau du dos. Après l’opération, on m’a fourni une pompe à morphine pour contrôler la douleur. Compte tenu de mon expérience passée, je savais qu’on pouvait devenir accro à ce genre de médicaments. J’ai donc tout fait pour m’en passer.
Ma mère a secrètement fait fonctionner la pompe à morphine, aussi souvent qu’elle le pouvait. Et j’ai failli mourir d’une overdose.
Le déclic
Après cet épisode, retourner chez ma mère était impossible. Quant à mon père, suite aux accusations d’abus, je ne pouvais plus le voir. Pendant deux ans, de 16 à 18 ans, je me suis retrouvée pratiquement sans abri. J’ai dormi sur le canapé d’amis et de connaissances. Puis, un jour, même si elle était elle-même en mauvaise santé, ma sœur a accepté de me recueillir. Par chance, j’ai pu continuer à aller à l’école. C’est d’ailleurs là que j’ai enfin compris la cause de mon malheur.
Pendant un cours, le professeur de psychologie a évoqué le syndrome de Münchhausen par procuration. Il nous a expliqué qu’une mère qui souffrait de ce syndrome, amenait son enfant régulièrement consulter différents médecins.
Plus mon professeur donnait des détails sur la maladie, plus je réalisais qu’il racontait ma propre histoire. Ce qu’il décrivait, c’était ma vie et mon parcours médical. Ce jour-là, j’ai compris que j’étais moi-même victime d’une mère en proie à ce fameux syndrome.
La terrible vérité
J’étais tellement sous le choc que j’ai à peine réussi à manger pendant 15 jours. J’ai passé des semaines à réclamer mes dossiers médicaux partout où c’était possible de les obtenir. Ce que j’ai trouvé dans ces documents m’a bouleversée. À plusieurs reprises, les spécialistes faisaient référence à ce syndrome chez ma mère, mais à aucun moment, ils n’ont pris les mesures qui s’imposaient pour que mon calvaire se termine. J’ai contacté un avocat dans l’espoir de poursuivre les médecins ou les hôpitaux. Mais, apparemment, le délai de prescription avait expiré. Je n’avais plus d’espoir d’obtenir gain de cause. Lorsque j’ai annoncé à ma sœur ce que j’avais découvert, elle a refusé d’admettre que notre mère était malade. Elle ne voulait pas croire que ses problèmes de santé étaient probablement eux aussi la conséquence de ce syndrome.
Confrontation
J’ai aussi voulu confronter ma mère à cette terrible réalité. Au début, elle a essayé de me calmer et de me faire croire que j’avais tort. Selon elle, elle était la seule qui me comprenait vraiment. Mais quand elle a réalisé qu’elle n’allait pas réussir à me convaincre, elle s’est fâchée. En dernier recours, elle tenté un dernier mensonge. Elle a prétendu qu’elle avait elle-même essayé de convaincre le médecin qu’elle souffrait de ce syndrome pour empêcher que mon père ne soit envoyé en prison suite aux violences sexuelles prétendument commises sur moi. Comme je ne voyais pas d’issue à cette discussion, j’ai décidé de couper tout contact avec ma mère et ma sœur, de chercher du travail et un petit appartement. Mon objectif : garder la tête hors de l’eau, coûte que coûte.
Pas de justice
Je n’ai plus aucun contact avec ma mère, ni avec aucun membre de ma famille depuis plus d’un an. Et pourtant, il y a encore des moments où je suis très triste. Ma mère me manque. Il y a deux mois, j’ai fait une tentative pour rétablir le contact avec elle. Mais ça a tellement mal tourné que j’ai compris que cela ne fonctionnerait probablement plus jamais entre nous. Au plus profond de moi, je ne perds toutefois pas espoir. Je partage maintenant un petit appartement en colocation et je travaille pour pouvoir continuer mes études. Mais ce n’est pas facile.
Suite aux maltraitances dont j’ai été victime, je souffre de maux de dos, de reflux et de problèmes de dentition qui me poursuivront à vie. Je suis toujours en thérapie et je dois travailler avec acharnement pour joindre les deux bouts.
J’ai encore beaucoup de mal à accepter de ne pas pouvoir obtenir justice pour ce que j’ai subi tout au long de ma vie. Et le fait de réaliser que ma propre mère m’a maltraitée alors que je n’étais qu’un bébé et qu’elle m’a empêchée de mener une vie normale et de construire une relation épanouie avec un homme, fait très mal. Mais je refuse de me laisser abattre. Mon expérience m’a même motivée à m’engager pour aider d’autres victimes qui ont vécu le même calvaire que le mien. Je rêve de devenir coach et de développer mon propre processus de traitement afin de les aider à s’en sortir. J’aimerais qu’à l’avenir, cette maladie ne soit plus taboue et que les gens n’hésitent pas à en parler.”
Le syndrome de Münchhausen par procuration, c’est quoi ?
F. Peers, psychologue clinicien “C’est un syndrome psychiatrique qui, généralement, ne disparaît pas. Les personnes qui en sont atteintes inventent, de manière active ou passive, une maladie ou un trouble fictif chez un proche. Elles font régulièrement appel à un médecin qui va appuyer leur thèse. De manière passive, elles racontent des histoires au sujet d’une maladie fictive. De manière active, elles infligent des blessures à leur victime, lui administrent des médicaments inutiles ou la négligent délibérément, ce qui provoque des problèmes médicaux.
Ce type d’abus se déroule le plus souvent dans le triangle mère, enfant, médecin. Dans la plupart des cas, la mère est l’auteur des sévices.
Parfois, il ne s’agit pas d’enfants victimes, mais de personnes âgées. Les mères passent généralement d’un hôpital à l’autre et changent constamment de médecin. Leurs motivations peuvent être de nature différente. Souvent, elles recherchent l’attention ou la sympathie. Cette façon d’agir leur offre une certaine forme de reconnaissance. Dans un nombre limité de cas, il s’agit d’obtenir de l’argent.
Jeu dangereux
Il est très difficile d’affirmer si une mère atteinte du syndrome de Münchhausen par procuration peut être qualifiée ou non de mauvaise mère. Beaucoup de ces mères ne sont à l’origine pas mal intentionnés. Il est donc important de pouvoir faire preuve de nuances. La thérapie peut apporter des réponses et un début de solution. Le sentiment de culpabilité ou de honte qui résulte de cette maladie doit être pris en considération. Au final, c’est bien sûr la sécurité de l’enfant qui doit primer. Dans les cas graves, l’enfant est généralement placé. Si la mère a souffert de troubles de l’attachement parce qu’elle a, par exemple, été abusée dans son enfance, il est possible qu’elle développe ce syndrome. Il est également important de noter que ce trouble est très rare. Selon moi, il faut cependant tenir compte du fait que les abus sont souvent commis de manière subtile. L’entourage a donc tendance à les ignorer ou à les minimiser. Comme les mères atteintes du syndrome sont souvent d’excellentes comédiennes, de nombreux cas ne sont jamais découverts. Les chiffres officiels ne sont donc pas représentatifs de la réalité.”
Texte : Jill De Bont et Marie Honnay.
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