Témoignage: ““Ma maman m’a abandonné””
Quand sa mère a quitté la maison, Elodie, 32 ans, s’est retrouvée livrée à elle-même auprès d’un père qui la négligeait. Elle a alors intégré un établissement d’aide à la jeunesse. Un foyer qui lui a permis de reprendre prise sur son existence et de devenir la jeune femme équilibrée qu’elle est aujourd’hui.
“Je viens d’une famille de quatre enfants. Avant ma naissance et celle de ma sœur cadette, Papa avait déjà deux fils, issus d’une précédente relation. Aux yeux de la petite fille que j’étais, mon enfance était tout à fait normale. Mais avec le recul, je me rends compte que les problèmes étaient déjà latents. Une fois à l’école primaire, j’ai réalisé que ce qui se passait à la maison était différent de ce que vivaient mes camarades de classe. Mes parents se disputaient très souvent et il arrivait parfois que ça devienne violent. Ils avaient de sérieux problèmes, et ma sœur et moi ne pouvions qu’assister, impuissantes, à leur nombreuses prises de bec. Et, plus le temps passait, plus ils semblaient perdus et désaxés. Ils ont commencé à chercher des réponses dans des religions et croyances étrangères. Papa est parti en Inde rencontrer un gourou, tandis que Maman a rejoint une communauté religieuse qui l’a embrigadée. Ils sont alors devenus extrêmement lunatiques. Maman pouvait être très douce, puis réagir, dix minutes plus tard, de manière terriblement agressive. En rentrant à la maison, petite, je ne savais jamais à quoi je devais m’attendre. Au climat que je retrouverais en franchissant la porte. Ils ont fini par décider de rompre.
Partie sans laisser d’adresse
Voir ses parents se séparer n’est déjà pas facile. Mais c’est devenu vraiment épouvantable pour moi lorsque Maman a disparu du jour au lendemain.
Elle habitait alors dans un appartement avec ma petite sœur. Elle est venue récupérer le reste de ses affaires, puis elle est repartie. Je ne savais absolument pas ce qu’elle comptait faire. C’est la dernière fois que je l’ai vue. Après quelques jours sans nouvelles, nous avons appris qu’elle avait fui à l’étranger avec ma sœur. Papa et moi étions devenus ‘orphelins’. Et nous ne savions rien de sa destination. Il s’est avéré plus tard qu’elle avait contracté d’énormes dettes et connaissait de gros ennuis. Peut-être est-ce la raison qui l’a poussée à partir? Aujourd’hui, je ne sais toujours pas pourquoi ma maman m’a laissé tomber quand j’avais onze ans. Qu’elle ait pu emmener ma sœur et me laisser derrière elle était insupportable. J’en avais le souffle coupé. La seule chose qu’elle m’ait laissée est un cadeau d’anniversaire, posé sur un fauteuil. Pendant des mois, je n’ai pas voulu l’ouvrir, pensant qu’elle allait tout de même revenir et qu’elle souhaiterait me le donner elle-même. J’ai fini par abandonner tout espoir, et par l’ouvrir. Il s’agissait d’une veste. Sans carte, sans lettre, sans la moindre explication. Le dernier cadeau que j’ai reçu de ma maman.
Complètement isolée
Papa ressentait une telle colère à l’égard de Maman, qu’il était impossible pour lui de comprendre ma douleur. Après tout ce qu’elle nous avait fait, il ne parvenait à concevoir qu’elle puisse me manquer. Le ménage reposait entièrement sur mes épaules. Je n’étais même pas encore ado, et je devais cuisiner, garder la maison en ordre et me rendre à la laverie automatique. Quand je n’arrivais pas à me débrouiller, je recevais de l’aide des gens du quartier. Mais, pour le reste, j’étais livrée à moi-même. Papa était de plus en plus souvent absent de la maison. À l’école, je me sentais totalement anormale. J’évitais de parler autant que possible de ce qui se passait chez moi, jusqu’à finalement complètement m’isoler des autres. Seule une amie était au courant de l’horrible situation que je vivais. Mais un jour, mon institutrice a découvert la vérité en interceptant un mot que je tentais de passer discrètement à cette amie. Elle a directement transmis mon message au centre Psycho Medico Social, qui a ainsi pu prendre les choses en main. Être soudainement libérée du poids de ce secret m’a fait ressentir des sentiments très contradictoires. D’un côté j’étais infiniment soulagée de savoir que j’allais enfin être aidée. De l’autre, j’avais très peur de la réaction qu’aurait mon père.
Hospitalisée en psychiatrie
Dès que le centre PMS a été informé de ce que je vivais, j’ai commencé à suivre une thérapie, auprès de nombreux psychologues différents. Je pense qu’eux-mêmes ne savaient pas trop comment ils étaient censés réagir. À ce moment-là, j’avais quatorze ans, j’étais en pleine adolescence et terriblement révoltée.
L’école ne m’intéressait plus, j’expérimentais des drogues, je partais en virée et certains jours, je ne rentrais pas à la maison. J’étais prête à tout pour échapper à la dure réalité du quotidien et à la douleur d’être privée de maman.
Je souffrais de plus en plus d’épisodes dépressifs et j’ai à ce point perdu pied que j’ai fini par être hospitalisée en psychiatrie. Je ne sais pas si c’était vraiment ce qu’il me fallait à ce moment-là, mais en tout cas, j’y ai trouvé un certain répit. Même si vivre en compagnie de personnes ayant de graves troubles mentaux n’était pas facile, la stabilité du cadre hospitalier a été un tel soulagement pour moi que je me suis rapidement sentie mieux dans ma peau. Ne pas pouvoir rentrer chez moi ne me dérangeait pas, mais mes amis, eux, me manquaient énormément.”
Pas de famille d’accueil pour moi
Une fois revenue à l’école, j’ai été la cible de tous les commérages. J’étais celle qui avait été à l’asile de fous, et dont il valait mieux rester à distance. Heureusement, mes véritables amies et leur famille savaient ce que je traversais et ils ont été très compréhensifs. Il m’arrivait même de pouvoir passer des week-ends chez l’une d’elles. J’avais alors l’occasion de découvrir ce qu’est une vie de famille normale. J’ai tenté durant mon séjour à l’hôpital, de poursuivre mes études mais vu ma situation “d’enfant de famille à problèmes”, ce n’était pas évident. J’avais trop d’échecs en mathématiques et j’ai finalement du refaire ma quatrième. J’avais repris des forces, et rentrer chez moi n’était pas une option. Parmi les rares familles d’accueil disponibles, aucune ne voulait d’une adolescente qui avait passé plusieurs mois en psychiatrie. Et les listes d’attente pour intégrer une maison d’aide à l’enfance et à la jeunesse étaient très longues. Je n’avais pas d’autre choix que de rester à l’hôpital.
“Postuler” pour un foyer
Durant un an, les perspectives de trouver un nouveau toit semblaient bien faibles. Jusqu’à ce qu’arrive une nouvelle incroyable. J’avais un entretien pour intégrer un foyer d’accueil de trente filles, dans lequel une place se libérait. Je me suis alors sentie comme quelqu’un qui allait passer un examen qui déterminerait le reste de son existence. J’étais nerveuse et j’ai fait de mon mieux pour convaincre le personnel de l’établissement que j’aurais une conduite irréprochable. Quel soulagement quand on m’a annoncé que j’étais acceptée et que je pourrais rapidement intégrer le foyer! Durant tout ce temps, ma maman et ma sœur n’avaient toujours pas donné signe de vie. Elles me manquaient terriblement. Mais je n’avais pas la moindre idée d’où elles étaient ni de comment je pourrais les retrouver. Ne sachant pas quoi faire, j’ai contacté Child Focus et leur ai expliqué que j’avais perdu ma sœur. Contre toute attente, ils ont pris mon appel très au sérieux et ont directement lancé une enquête. Ils ont ainsi retrouvé ma mère et ma sœur aux Philippines. Et j’ai été autorisée à me rendre là-bas, à l’ambassade belge, pour les rencontrer.
J’allais enfin pouvoir poser à ma maman la question que j’avais retournée dans ma tête des millions de fois ces cinq dernières années: pourquoi m’avait-elle abandonnée? Cette inquiétude et tous les doutes qu’elle provoquait m’avaient fait perdre toute confiance en moi au fil des ans.
Décevantes retrouvailles
Ces retrouvailles avec ma maman ont été surréalistes. Je n’y ai trouvé ni les excuses ni les explications que j’avais espérées. La seule chose qu’elle m’a dit, au bout de cinq longues années, est qu’elle avait quitté mon père car elle ne se sentait plus en sécurité. Mais à la question de savoir pourquoi elle m’avait abandonnée moi aussi, elle n’a apporté aucune réponse. Revoir ma sœur m’a par contre fait un bien fou. Même si elle n’était plus la petite fille que j’avais connue, la connexion s’est directement rétablie entre nous. Quitter les Philippines a été très dur, mais j’étais malgré tout contente de retrouver ma place au foyer. Et peu après, ma maman est revenue durant quelques temps en Belgique. Elle et moi avons commencé une thérapie familiale avec le psychologue du centre, mais cela n’a rien donné. Je recherchais de tout mon cœur des réponses qu’elle ne voulait pas me donner. Je suis donc restée au foyer et j’ai tenté progressivement de me construire, avec des hauts et des bas.
La vie en institution
Cohabiter avec trente adolescentes qui possèdent chacune leur parcours difficile et leur manière de les affronter, n’a pas été simple. Mais là-bas, j’ai ressenti, pour la première fois depuis des années l’impression d’être chez moi.
J’y ai rencontré des filles qui étaient tombées enceintes par accident, ou avaient connu de mauvaises fréquentations, d’autres qui avaient cherché refuge dans la drogues ou dans la violence. La situation devenait souvent incontrôlable et, lorsque les éducateurs étaient trop peu nombreux, il arrivait que la police doive intervenir.
J’essayais de conserver un cercle d’amis en dehors du foyer. J’ai gardé le contact avec des filles dont l’influence était positive pour moi et j’ai mis un terme à toutes mes autres amitiés. J’ai connu énormément de hauts et de bas dans cette institution. . Et la thérapie familiale, réalisée avec mes parents, a elle été très difficile psychologiquement. Et puis, lorsque j’ai connu ma première peine de cœur alors que mon éducatrice référente était en vacances, je me suis sentie terriblement seule. Il n’y avait pas suffisamment d’éducateurs et ils faisaient tout pour être présents lorsque j’avais besoin d’eux. Et ils m’ont énormément motivée et encouragés à finir mes études secondaires. Dans ce foyer, je me sentais à la maison. Mais à l’école, c’était loin d’être évident. Je n’avais que quelques amis. Les autres me trouvaient bizarres et ne parvenaient pas à comprendre pourquoi je vivais en foyer. Ils étaient juste avides de détails sur ma situation hors du commun.
À 18 ans, voler de mes propres ailes
J’ai dû énormément me battre durant mon adolescence. Mais j’ai toujours voulu croire qu’un jour tout finirait par aller mieux. Je voulais prouver que je pouvais être meilleure que mes parents. Mes 18 ans marquaient la fin de mon séjour au foyer. J’ai alors dû me débrouiller par moi-même. Je me suis inscrite à l’université et, avec une allocation du CPAS, j’ai pu me payer une petite chambre d’étudiante. Un nouveau monde s’ouvrait à moi, qui me semblait formidable au premier regard. Mais assurer mes besoins toute seule s’est révélé très compliqué.
Il m’était impossible de vivre avec 600 euros par mois, j’ai donc dû combiner mes études avec, par moments, trois jobs simultanés. Habiter en kot était très pesant. Surtout le vendredi soir, lorsque les étudiants rentraient chez eux tandis que moi j’allais à la laverie automatique faire mes lessives.
Je me sentais alors très seule. Mais laisser tomber les bras n’était pas des options. Je voulais réussir mes études et faire quelque chose de ma vie. Et cela a fonctionné. J’ai obtenu mon diplôme et ouvert ma propre entreprise de marketing. Aujourd’hui, je suis aussi l’heureuse maman de deux enfants. Cela n’a malheureusement pas fonctionné entre leur père et moi et je le vis comme un immense échec. Mais j’essaye de tout faire pour offrir à ms enfants un nid chaleureux.
Lutter deux fois plus
J’ai perdu le contact avec mon père depuis des années et je n’ai pas vu ma maman depuis cinq ans. Lorsque mes enfants me demandent où sont leurs grands-parents, je leur dis qu’ils habitent très loin de chez nous. Ce que j’ai vécu m’oblige à batailler deux fois plus dur que les autres pour réussir. Mais avoir connu un foyer m’a rendue plus forte. Et aujourd’hui, j’en récolte les fruits chaque jour, que ce soit comme maman ou en tant que jeune entrepreneuse. Je me sens sûre de moi et bien dans ma peau. Je peux donner à mes petits bouts ce dont ils ont besoin et j’en suis fière. Ces épreuves et toute cette souffrance ne m’ont pas empêché de retrouver confiance en moi et en ceux qui m’entourent. Sauf au niveau amoureux. Et cela reste terriblement douloureux pour moi.
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