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Témoignage: ““Mon homme est en prison””

Barbara Wesoly
Lorsque l'un de vos proches est emprisonné, c'est toute votre vie qui bascule. Le mari de Fanny, 26 ans, est en prison depuis quelques mois. Elle raconte l'incompréhension, l'inquiétude et les doutes qui la minent.

"Il y a un an, je pensais qu'on était à l'aube du plus beau moment de notre vie. Je venais d'apprendre que j'étais enceinte, mon homme m'avait demandé en mariage et nous avions acheté une maison peu avant. Mais la réalité est devenue tout, sauf idyllique. Comme un cauchemar qui semble ne pas avoir de fin...

 

Où est passée ma belle-sœur?

"C'est fou, Dalia n'est pas encore rentrée" résonne dans ma tête. Il était 5 h du matin, et je devais aller aux toilettes. Mais je ne me suis pas souciée très longtemps de son absence. "Elle doit encore être de sortie", pensais-je, et je suis retournée me coucher. Mais lorsque le lendemain midi, ma belle-sœur ne s'était toujours pas présentée à son travail, mon homme et moi avons commencé à nous inquiéter. Dalia habitait chez nous depuis quelques semaines, depuis qu'elle avait rompu avec son copain. Evidemment, elle était la bienvenue à la maison! Loris, mon amoureux, et Dalia étaient comme les deux doigts de la main et je m'entendais très bien avec elle. La veille de sa disparition, je lui avais encore montré fièrement les nouveaux petits vêtements de bébé que j'avais achetés. Elle était si heureuse pour nous, toute impatiente d'être tantine. Parfois, elle écrivait même des Post-it disant qu'elle avait hâte, et combien les accessoires pour bébé que je venais je venais d'acheter étaient mignons.

 

Les premières heures

La première chose que nous avons faite est d'appeler ses amis et ses collègues. Mais personne n'avait eu de nouvelles de Dalia, pas plus que le reste de la famille. Quand on l'appelait, on tombait directement sur sa messagerie, alors que le matin même, il sonnait encore. Nous avons décidé de signaler sa disparition. Pourtant, Loris et moi, on continuait espérer que tout allait s'arranger. Qu'il y avait une raison au fait que Dalia ne réagissait pas et qu'elle ne répondait pas à son téléphone. Nous ne comprenions pas ce qui se passait. C'était tellement irréel. Dalia, disparue? Comment était-ce possible? Dalia n'est pas revenue. Les heures se sont transformées en jours et les jours en semaines. Tout le monde se posait des questions: nous, ses amis, son ex copain, ses collègues, la famille, mais aussi les voisins du restaurant où elle travaillait, et où elle avait été vue pour la dernière fois.

Peu à peu, les premières nouvelles alarmantes nous sont parvenues. Les voisins avaient entendu crier pendant la nuit, et on pouvait voir sur des images un homme jeter son GSM dans l'eau. Son sac n'a jamais été retrouvé.

 

Échouer dans son rôle de grand frère

Un mois plus tard, j'étais à la maison en train de surfer sur mon smartphone. J'étais malade et Loris était au lit, en train de récupérer d'un gros shift. J'ai lu qu'un corps avait été retrouvé dans l'eau, à un kilomètre de l'endroit où Dalia travaillait. C'était elle, j'en étais sûre. J'ai tout de suite réveillé Loris, qui a vu que la police avait en effet essayé de l'appeler plusieurs fois. Ils ont confirmé que Dalia était morte. Noyée. Mais sa mort restait suspecte. Les cris dans la nuit, le sac qui n'avait pas été retrouvé et le GSM qui avait été jeté sur le bord par un inconnu: selon la police, autant d'indices indiquant qu'elle n'avait pas délibérément choisi de mourir. Tous nos espoirs de la retrouver venaient de s'effondrer. La mort de Dalia était difficile à accepter, surtout pour Loris. Il avait le sentiment de ne pas avoir assumé son rôle de grand frère. Il pensait qu'il aurait dû la protéger. Même s'il savait qu'il n'aurait rien pu faire, la culpabilité qui le rongeait était énorme. J'ai essayé d'être là pour lui, car je voyais qu'il avait beaucoup de mal.

 

Un beau mariage malgré tout

Loris a démissionné de son travail et est resté à la maison pendant un petit temps. Il avait besoin de temps pour récupérer. Mais malgré toute la tristesse, notre vie devait continuer. Nous ne pouvions pas faire autrement: quelques mois plus tard, nous allions avoir une petite fille et notre date de mariage était fixée depuis déjà un an.

Nous avons hésité, mais avons finalement choisi de maintenir le mariage à la date prévue. Trois mois après la mort de Dalia, nous étions mariés.

L'absence de Dalia était douloureuse, mais ce fut tout de même une belle journée. Nous avons fait une petite fête, modeste, dans notre maison, car entretemps, j'étais au huitième mois de grossesse. Ce n'était pas la fête dont nous avions rêvé, mais Loris et moi en avons profité. Loris se sentait plus que jamais coupable. Comment pouvait-il être heureux maintenant, alors que Dalia n'était plus là? Lorsque un mois plus tard, nous sommes devenus les heureux parents de Fleur, et son sentiment de culpabilité a pris des proportions gigantesques. Loris savait que Dalia n'aurait souhaité que son bonheur, mais cela ne l'aidait pas. Il continuait à faire de son mieux pour moi et notre fille. C'était un merveilleux papa, qui faisait tout ce qu'il pouvait. Mais le chagrin continuait de le ronger.

 

Rongé par le chagrin

Un soir, alors que nous étions à la maison en train de décorer le sapin de Noel, Loris a bu quelques bières. J'étais contrariée, je me suis fâchée contre lui car il avait été alcoolique avant, et nous savions tous les deux que ce n'était pas une bonne idée qu'il boive. Mais il m'a rassurée. Et puis, tout à coup, sans que je m'en aperçoive, il avait disparu. "Il est sûrement allé dormir", ai-je d'abord pensé, mais il n'était pas dans notre lit. Soudain, j'ai vu que la voiture n'était plus là. Loris avait déjà souvent connu des jours difficiles, j'y étais habituée. Mais cette fois, je n'avais rien remarqué. Des heures plus tard, il n'était toujours pas rentré. Le lendemain matin, à 6 h, il m'a appelée: il m'a dit qu'il en avait assez, qu'il voulait se suicider. Paniquée, j'ai appelé les secours, mais ils avaient évidemment besoin savoir où ils se trouvaient. "Chez son père peut-être?" ai-je répondu, mais il n'y était pas. Il était au cimetière, près de sa sœur.

 

"Loris est devenu fou"

Quelques instants plus tard, sa maman est arrivée: Loris lui avait téléphoné. Pour lui dire qu'il avait fait l'imbécile. J'ai avalé ma salive. Dans toute sa tristesse, sa colère et sa frustration, Loris avait voulu venger la mort de sa sœur. Pour lui, quelqu'un devait payer pour toute la douleur que Dalia avait endurée. Et ce quelqu'un, c'était l'ancien voisin de la famille, qui avait abusé de Dalia lorsqu'elle était enfant et qui avait aussi été condamné pour ça.

Il s'était introduit dans sa maison, était entré dans la chambre où l'ancien voisin et sa femme dormaient, et avait mis le feu au matelas en espérant que toute la maison brûlerait.

Le reste de la nuit, Loris avait erré: à l'endroit où Dalia avait été retrouvée, au cimetière, à l'endroit où elle avait été vue pour la dernière fois. Tout cela, dans un état second à cause de l'alcool et de la tristesse.

 

En larmes

Je ne pouvais pas comprendre ce que Loris avait fait. Loris, mon Loris, ce n'était pas possible! Cet homme doux et adorable qui était toujours là pour moi? Je me trouvais là, avec notre fille de quatre mois. Qu'est-ce que j'ai pleuré! Les jours qui ont suivi, j'ai vécu dans le brouillard. Mon GSM n'arrêtait pas de sonner, tout le monde voulait savoir ce qui s'était passé et comment j'allais. Même des gens que je n'avais plus vus ou entendus depuis des années. Certains m'ont soutenue. Car même si ma photo n'était pas dans le journal, j'avais l'impression que moi aussi, j'avais aussi été accusée. Que partout où j'allais, les gens me dévisageaient. Comme si tout le monde savait qui j'étais et ce que mon mari avait fait.

Dans notre maison, le temps semblait s'être arrêté. La place à côté de moi dans le lit restait vide. Et moi, je me retrouvais soudainement seule. J'étais triste, mais aussi très en colère. Comment Loris avait-il pu me faire ça?

 

Regrets et déception

La première fois que je suis allée visiter mon mari en prison a été irréelle. Loris n'y était pas à sa place. C'était le dernier endroit où j'aurais imaginé voir mon mari un jour. Nos rendez-vous se passent dans une salle avec tous les autres détenus, les gardiens se tiennent à côté de notre petite table ou se promènent autour. Il n'y a aucune intimité, nous n'avons pas encore eu la chance de pouvoir réserver une pièce privée. Je vais le voir une ou deux fois par semaine, mais ça reste difficile. Les nombreux contrôles, le bruit de la porte qui se referme derrière moi, l'atmosphère froide: je ne m'y habitue pas. Loris sait que je suis toujours en colère, déçue, mais que j'essaye de ne pas trop le montrer quand je le vois. Je veux profiter du peu de temps où je suis avec lui et des quelques heures qu'il peut passer avec sa fille. Cette colère, je la garde pour la maison, pour moi-même. Dans ses lettres, il me dit combien il est désolé. Combien il aimerait pouvoir remonter le temps. Il réalise qu'il n'aurait jamais dû aller si loin. Qu'il aurait dû traiter son chagrin différemment. Depuis, il a entamé une thérapie, et je remarque qu'il progresse. Ça me fait plaisir.

 

Un avenir incertain

Ces derniers mois, j'ai traversé l'enfer. Je me suis retrouvée seule, j'ai dû tout gérer moi-même. M'occuper de Fleur, du ménage, des factures – même si sa famille et la mienne font de leur mieux pour me soutenir. Ils gardent notre fille, me donnent un coup de main pour l'entretien de la maison, m'encouragent même à obtenir mon permis de conduire. Pourtant, j'en ai assez de toute cette misère: j'aspire au calme. L'année qui vient de s'écouler a été une succession de hauts et de bas, et l'incertitude quant à l'avenir de Loris me fait peur.

Devra-t-il rester encore longtemps en prison? Ou aura-t-il un bracelet électronique? Retrouvera-t-il du travail? Et qu'adviendra-t-il de notre couple? Car même si je l'aime, je n'ai aucune idée de la façon dont nous allons y arriver.

Notre relation est réduite à des échanges de lettres, des coups de fil et de courtes visites en prison. Le contraste par rapport à avant ne pourrait pas être plus grand. Mais moi aussi, j'ai changé: je suis devenue bien plus forte, je suis même étonnée moi-même de la force que j'avais. Je suis capable de faire beaucoup plus de choses que je ne le pensais.  Mais ce que nous réserve l'avenir? Je n'en sais rien. La vie m'a appris qu'on ne peut pas tout prévoir. Je verrai au jour le jour."

 

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