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© Lara Herbinia

Témoignage: ““On m’a greffé le cœur d’un autre et aujourd’hui je revis””

Barbara Wesoly

Plus qu’une deuxième chance, une renaissance: c’est ce qu’a vécu Elise, 31 ans, en recevant une greffe cardiaque après des années d’attente et un véritable parcours du combattant. Rencontre avec une fille extraordinaire, qui malgré de graves problèmes de santé, s’estime incroyablement chanceuse, depuis toujours…


Dans l’inconscient collectif, il est le noyau des émotions. Capable de se briser suite à un chagrin d’amour ou de battre uniquement pour ceux qui comptent. Le cœur n’est pas seulement un organe vital au sens propre du terme. Il symbolise également qui nous sommes de la manière la plus profonde et personnelle qui soit. Un héritage d’autant plus unique quand, comme Elise, on porte en soi celui d’un autre.

Grandir à l’hôpital


Elise a deux ans lorsqu’on lui découvre une leucémie. À l’âge où les autres apprennent les couleurs et les nombres à l’école, elle grandit en chambre stérile, entourée d’infirmières et traitée à coup de chimiothérapies particulièrement agressives. Nous sommes au début des années 90, les connaissances médicales en matière de cancer ne sont pas celles d’aujourd’hui. Il ne faut laisser aucune chance à la maladie, agir vite, frapper fort. Ce n’est qu’à l’âge de 6 ans qu’Elise est considérée comme guérie et peut reprendre une vie normale. Une accalmie de courte durée.

À 12 ans, elle décèle une boule sur son cou et on lui diagnostique un cancer de la thyroïde. C’est le retour à l’hôpital avec, à la clé cette fois, une opération et des rayons.


L’isolement, la perte des cheveux, la peur... sont loin d’une vie rêvée d’adolescente. “Je trouvais cela tellement injuste, j’étais révoltée. J’avais le sentiment d’être la seule à souffrir et à être malade.” Heureusement, il y a les infirmières, attentives et bienveillantes. À 16 ans, Elise est en rémission. Elle sort de cette bataille avec le besoin de rendre aux autres l’écoute et la générosité qui lui ont été offertes à l’hôpital. Et d’aider ceux dont elle peut comprendre mieux que quiconque la douleur ou l’angoisse. C’est décidé, elle sera infirmière.

Incapable de grimper les marches


Les années passent. Elise exerce son métier dans différents services. Elle rencontre David, un  membre du corps médical, dont elle tombe amoureuse et qu’elle épouse. Puis un soir, à 25 ans, en partant travailler de nuit, elle n’arrive plus à grimper les escaliers. Essoufflée, épuisée, la jeune femme passe alors des examens médicaux chez un cardiologue. On lui découvre une grave insuffisance cardiaque. “Le médecin m’a annoncé que la situation était très grave. Je n’avais plus que 20 % de capacités de ‘fraction d’éjection’, qui est la capacité de pompage du sang en réponse aux besoins de l’organisme. Un chiffre qui doit être de 50 à 60 % pour un individu en bonne santé. J’avais le cœur d’une personne de 90 ans. J’ai dû une nouvelle fois être hospitalisée et commencer directement un traitement.”

Parcours de combattante


Elise apprend que c’est la chimiothérapie intensive qu’elle a subie étant petite, à une époque où les dosages et traitements n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui, qui a abîmé son cœur. Heureusement, les médicaments semblent fonctionner. Un an après la découverte de cette insuffisance, elle peut reprendre son travail et mener à nouveau une vie normale... jusqu’aux vacances d’été suivantes. Alors qu’elle mange avec David, Elise est prise d’un malaise et sent tout son côté droit s’engourdir. Médecin, celui-ci détecte les signes d’un accident vasculaire cérébral et l’emmène directement aux urgences.

Cet AVC, causé par le manque d’oxygène en provenance du cœur jusqu’à son cerveau, la laissera paralysée durant dix jours. Il lui faut alors réapprendre à bouger et à marcher. Pratiquer de la rééducation. Elle s’y attelle avec courage et persévérance, et ne conservera aucune séquelle.

Au pied du mur


À 28 ans, Elise, qui rêve de devenir maman, demande à ses médecins de pouvoir arrêter ses médicaments, ceux-ci étant contre-indiqués en cas de grossesse. Mais les symptômes reviennent, encore plus violents. “Les résultats de mes examens n’étaient pas bons. Mon état se dégradait à nouveau rapidement. Il n’y avait plus d’autre possibilité que d’avoir recours à une greffe cardiaque. C’était terrible à entendre. Mais après coup, en y réfléchissant, c’était le plus beau cadeau que l’on puisse m’offrir.” Un cœur qu’Elise attend durant deux ans. Deux années en suspens, à espérer ce coup de téléphone libérateur de l’hôpital. “Je regardais tout le monde vivre et avancer, alors que j’étais clouée sur place. Parvenant à peine à me laver ou à faire des courses. L’attente a été très longue. J’ai heureusement eu l’immense chance d’être soutenue par ma famille et mes proches, qui m’ont vraiment portée.”

Le plus beau des caps


Et puis l’année de ses 30 ans, c’est la délivrance. Un donneur est trouvé et il est enfin possible de procéder à une transplantation cardiaque.

Quand on m’a appelée en me disant ‘Voilà Elise, on a un cœur pour toi’, j’ai pleuré et crié de bonheur. Il était 20h et je n’étais greffé que le lendemain matin. Alors j’ai invité toute ma famille et mes amis pour une petite fête. C’était l’occasion de se dire au revoir et que l’on s’aimait, de se serrer fort.


Ensuite, j’ai attendu sur mon lit d’hôpital, un immense sourire aux lèvres. J’étais impatiente d’être en salle d’opération et certaine que tout se déroulerait bien. Heureuse et prête pour cette nouvelle vie.” Mais une fois encore, le chemin est loin d’être simple. Après sa greffe cardiaque, Elise doit être réopérée le soir même suite à une hémorragie. Trois autres interventions seront encore nécessaires, à cause d’une accumulation de liquide compressant le cœur. Après sa sortie de l’hôpital, il lui faut alors affronter les traitements lourds, la prise massive de médicaments et les biopsies pour vérifier qu’il n’y a pas de rejet. Et aussi de la réadaptation cardiaque pendant une année.

Une deuxième naissance


Cela fait quinze mois qu’Elise a reçu son nouveau cœur.  “Cela a demandé du temps et j’ai dû me donner à fond, mais je peux à nouveau faire mes courses, prendre une douche ou jardiner. Être autonome. Cela peut paraître anodin pour ceux qui ont la chance d’être en bonne santé, mais j’en étais devenue incapable. J’ai repris mon travail et je peux voyager, partir au bout du monde si je le souhaite. Après avoir fini ma réadaptation, j’ai refait une épreuve d’effort pour vérifier mes capacités cardiaques et j’atteins désormais 60% de ‘fraction d’éjection’. Plus que de nombreuses personnes en parfaite santé. Et moi qui n’avais jamais pu courir, aujourd’hui, je fais du running. C’est ma plus grande fierté.

Le jour où je suis arrivée à courir 40 minutes d’affilées, j’ai eu une pensée particulière pour mon donneur. Je l’ai remercié et lui ai dit que tout ça, c’était grâce à lui. Si je peux revivre, c’est grâce à lui.

En paix avec ce cœur


“Avant d’être greffée, je me posais énormément de questions. C’était difficile d’accepter l’idée de la transplantation. À un moment, j’ai même dit aux médecins que je ne voulais pas de ce cœur, que je refusais que quelqu’un meure pour que je puisse vivre. Cela m’a demandé un travail d’acceptation pour comprendre que je n’étais pas responsable de la disparition de celui qui me sauvait. Mais une fois l’opération réalisée, je me suis sentie en paix. Ce cœur est une part de moi. Ce n’est pas qu’un organe, c’est aussi une âme. Quelqu’un vit désormais en moi. Et je suis infiniment reconnaissante à mon donneur. Il a une place essentielle dans mon corps et dans ma vie. Je vis pour lui et pour moi. C’est une très belle symbiose. Et on continue notre chemin tous les deux.”

Un don complètement anonyme


Elise n’a aucune information sur son donneur, le don d’organe étant un processus totalement anonyme en Belgique. Il est légalement interdit de chercher à connaître son identité. Mais l’imagination pose forcément des images. Elle l’imagine être un homme et ne peut s’empêcher dès lors de parler de lui en “il”. La seule possibilité de contacter sa famille est d’écrire une lettre directement après la greffe et de la remettre aux infirmiers de l’hôpital, qui la transmettront au centre de transplantation afin que ce dernier la fasse parvenir aux proches du défunt. “Pas un jour ne passe sans que je pense à lui. Je songe aussi énormément à sa famille. Je leur ai écrit pour les remercier. En pensant peut-être parler à sa femme, à ses enfants. Le deuil est une étape très difficile. Accepter de donner les organes de quelqu’un qu’on aimait est un geste magnifique, qui sauve énormément de vies. Et qui, je l’espère, aide à vivre plus sereinement l’absence.

Deux ans


Dans cinq mois, Elise passera le cap des deux ans depuis sa greffe. Une étape essentielle. Elle devra continuer à prendre 12 médicaments par jour pour éviter tout rejet, mais cette date signifiera l’espacement des contrôles médicaux à tous les six mois. Et surtout, elle pourra enfin concrétiser son souhait de devenir maman. “Avoir des enfants est un rêve depuis si longtemps. Mais plus encore, je veux profiter de chaque jour, de chaque instant. Profiter des gens que j’aime et ne pas perdre une minute. Et je tiens à me battre pour informer les autres sur l’importance du don d’organes. Nous sommes tous automatiquement inscrits comme donneur, mais si aucune déclaration officielle n’est effectuée, les proches de la personne décédée peuvent s’opposer au don.”  Elise se rend donc dans les écoles pour y parler de son expérience et expliquer aux enfants et adolescents à quel point cette démarche est vitale.

Je ne veux pas seulement convaincre les plus jeunes de l’importance du don d’organes, mais chaque personne que je croise. Les gens se croient souvent trop âgés ou en mauvaise santé, mais l’essentiel est qu’ils s’inscrivent et fassent le pas. Mieux vaut ne pas pouvoir donner que de ne rien tenter.

L’avenir de tous les possibles


“Peut-être que dans dix ans, j’aurai un autre problème de santé. Peut-être qu’un jour mon organisme ne supportera plus aussi bien ce corps étranger à l’intérieur de moi. Je ne peux rien prévoir ni empêcher. Mais je prendrai ce qui vient. Depuis que j’ai ce cœur, je vis très sereinement.  Tout ce qui m’est arrivé m’a permis de voir différemment l’existence, de profiter à 100 % de la vie. Et je ne retiens que le positif sorti de tout cela. Cela fait ma force et celle que je suis. Tout ma vie, j’ai toujours été très chanceuse. J’ai une chance inouïe.”

Elise a un message pour son donneur...

La vie d’Elise était en suspens, jusqu’au jour où elle reçu le plus incroyable des dons d’organes: un don de cœur.• Retrouvez l’intégralité de son témoignage sur le site www.flair.be et dans le magazine Flair de cette semaine

Posted by Flair on Tuesday, January 22, 2019

Au cœur de la transplantation cardiaque


En 1967 était réalisée la première greffe de cœur. 52 ans plus tard, en Belgique, 1269 patients sont en attente de greffe d’organes, dont 111 d’un nouveau cœur. Le docteur Olivier Van Caeneghem est chef de clinique au service de pathologies cardiovasculaires intensives et de transplantations cardiaques des Cliniques universitaires Saint-Luc de Bruxelles. C’est lui qui a réalisé la transplantation cardiaque d’Elise.

Quels sont les risques d’une greffe cardiaque, pendant et après l’intervention ?

“L’opération est délicate et comporte des risques de décès. Mais la survie, un an après la chirurgie, est de 80 à 85% des patients. Dans une majorité des cas, ils récupèrent une capacité physique normale et sont totalement autonomes, travaillent et peuvent faire du sport (parfois même en compétition). Le suivi est assez lourd durant les deux premières années après la greffe. Le patient doit aussi être traité à vie par immunosuppresseurs pour éviter tout rejet de la greffe. Ces médicaments diminuant l’immunité, augmentent les risques d’infections et de cancer. Le traitement a aussi des effets secondaires possibles comme des tremblements, des migraines, du diabète et de la toxicité pour les reins. Nous essayons aussi au maximum de limiter les risques de problèmes cardiovasculaires en veillant à traiter l’hypertension, ou un cholestérol trop élevé. ”

Une transplantation cardiaque nécessite de trouver un cœur adapté au patient, par la taille, le poids et le groupe sanguin. De nombreux facteurs qui limitent le nombre d’organes compatibles. A-t-on en Belgique suffisamment de donneurs?

“Malheureusement non. Nous avons des patients de tous les âges sur notre liste d’attente. Y compris de jeunes adultes et des enfants. Et le délai d’attente moyen est de 18 à 24 mois. En 2018, 95 patients en attente d’une greffe d’organe sont décédés en Belgique. Dont 21 en attente d’une greffe cardiaque.”

Comment s’assurer d’être donneur?

Chaque Belge inscrit sur le registre national est un donneur d’organe potentiel, à moins de s’y être formellement opposé par écrit. Depuis 2007, la famille proche de la personne décédée n’est plus censée pouvoir refuser le don d’organes, mais dans les faits, c’est encore très fréquemment le cas et les médecins ne s’opposent dès lors pas à la volonté des proches. Pour être sûre d’être obligatoirement considérée comme donneuse, il est donc essentiel de signer le formulaire d’inscription de don d’organes, disponible dans votre commune ou en ligne.

 Plus d’informations sur www.health.belgium.be/fr le site du Service public fédéral de la Santé publique.

Texte: Barbara Wesoly. Photo: Lara Herbinia.


 

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