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TÉMOIGNAGES: trois jeunes femmes révèlent un autre visage de l’adoption

La rédaction

La Belgique compte des milliers d’enfants adoptés et pourtant, les principaux concernés sont souvent oubliés dans les débats sur l’adoption. Ces trois témoins nous confient l’impact désastreux de leur adoption sur leur bien-être.

Frehiwot-Evi, 23 ans, avait 7 ans lorsqu’elle a quitté l’Éthiopie. Elle se demande à quoi aurait ressemblé sa vie sans adoption.

Il était une fois une mère et un père en Éthiopie qui ont eu un cinquième enfant: une fille. On m’a donné le nom de Frehiwot, qui ­signifie ‘la graine de vie’. J’ai été choyée par mes frères et sœurs plus âgés. Mais ensuite, le destin a frappé: d’abord mon papa est décédé et ensuite ma mère, peu de temps après. J’étais trop jeune pour comprendre, mais ce dont je me souviens bien, par contre, c’est le lien que j’avais avec ma mère. J’étais la ­prunelle de ses yeux, nous étions très étroitement liées, je le ressens encore. Je n’ai jamais retrouvé ce lien avec mes parents adoptifs...

À 7 ans, je me suis retrouvée en Belgique. Après la mort de mes parents, j’ai été adoptée parce que ma famille était trop pauvre pour subvenir à mes besoins. J’ai vécu mon adoption comme une expérience traumatisante. Quand j’ai été prise en charge par deux Blancs que je n’avais jamais vus avant, je n’ai pas réalisé qu’on ­allait me mettre dans un avion pour la Belgique.


On m’a donné le nom d’Evi et je me suis retrouvée dans une ­famille avec des enfants biologiques et adoptés. Soudain, j’ai dû les considérer comme ma nouvelle famille et j’ai dû le dire à de parfaits inconnus, maman et papa, alors que j’avais une famille en Éthiopie. Je trouve que je n’ai pas du tout été guidée dans le processus difficile et complexe de l’adoption. On m’a ­donné des vêtements et la possibilité ­d’aller à l’école, mais je n’ai pas vraiment ressenti un amour inconditionnel comme celui de ma mère biologique.

Âme perdue

Je n’avais pas encore 17 ans lorsque je suis partie de chez moi. Et je ne suis jamais retournée dans ma famille adoptive. Après des années de lutte solitaire, il était grand temps que je choisisse mon propre bonheur. J’ai vécu avec une amie pendant deux mois, jusqu’à ce que sa belle-mère me dise soudain que je devais payer la chambre alors que j’étais encore à l’école et que je n’avais pas de travail. Je me suis retrouvée à la rue, puis j’ai fini dans un centre pour jeunes sans-abri, où je suis restée jusqu’à ce que j’obtienne mon diplôme et que je trouve un emploi. Ces années n’ont pas été faciles. Je dois tout à moi-même et à ma foi. Aujourd’hui, j’ai un ­excellent travail et je suis ­mariée à un Éthiopien, avec qui j’ai un fils de 2 ans et demi et j’attends un deuxième enfant. Je suis ­retournée en Éthiopie deux fois et j’appelle ma famille biologique tous les jours via Skype. Je suis retombée sur mes pieds, mais je n’accepterai jamais d’avoir été amenée en ­Belgique (soi-disant pour un avenir meilleur ) et de m’être retrouvée dans cette situation. Par mon ­expérience personnelle, je ne peux supporter l’adoption, aussi triste que cela puisse paraître pour les couples qui ne peuvent pas avoir d’enfants et qui agissent de bon cœur. Je me sens comme une âme perdue et je suis en conflit avec la façon dont le monde perçoit l’adoption. Dans les débats sur l’adoption, notre voix est bien trop peu entendue.

Toutes les ­adoptions ne sont pas une réussite. Nous ­devons de toute urgence ­abandonner cet idéal. Je plaide pour un système qui offre de l’aide aux enfants dans le ­besoin sur place, de sorte que l’adoption devienne ­superflue.

Je me demande souvent à quoi aurait ressemblé ma vie si je n’avais pas été adoptée. Ma famille vivait dans la pauvreté, mais nous nous aimions beaucoup… Et l’amour, c’est la chose la plus importante. »

TÉMOIGNAGE: Coline, enlevée à la naissance et victime du trafic d’enfants au Guatemala

Chitra, 34 ans, a été adoptée en Inde en 1990. Elle s’est retrouvée dans une famille chaleureuse, mais quand elle a commencé à chercher des réponses, elle a réalisé que son dossier d’adoption était rempli de zones d’ombre.

Il était une fois… une mère trop pauvre, contrainte d’abandonner son enfant par amour, dans l’espoir de ­pouvoir lui apporter un avenir meilleur. Pendant des années, j’ai dû croire à cette histoire… qui ne correspond pas aux faits. La toute première trace de mon histoire est écrite dans un cahier provenant de l’orphelinat en Inde. Il ne comporte que deux mots : mère ­célibataire. Deux mots qui se retrouvent dans presque tous les cahiers de ceux qui ont quitté l’orphelinat. À 4 ans, j’ai été adoptée par des ­parents aimants. Mais en réalité, il s’agit d’une histoire de trafic ­d’êtres humains et de fraude d’identité. Je ne sais pas si Chitra est mon vrai prénom. Je ne sais pas quel âge j’ai réellement. Sur papier, j’avais 4 ans au moment de l’adoption, mais ­vraisemblablement, j’en avais deux de plus. Qui peut me le dire? Bien que je sois arrivée en ­Belgique à un âge relativement jeune, je me souviens encore de beaucoup de choses de ma vie passée. J’ai été prise en charge par les sœurs, strictes mais justes, de l’orphelinat où je suis restée les premières années de ma vie. J’ai ­ensuite été adoptée par des parents en Belgique, qui m’ont donné ­beaucoup d’amour et d’attention. Je ne peux pas imaginer une ­meilleure enfance, mais quand j’ai commencé à chercher des réponses vers l’âge de 20 ans, beaucoup de ­cadavres sont sortis du placard.

J’ai commencé mes recherches en cachette de mes ­parents, alors qu’ils ne m’ont jamais fait sentir que je ne devais pas parler de mon adoption. Ce n’était pas ­tabou, mais je ne savais pas comment m’y prendre pour mes recherches.

L’agence d’adoption avait fait faillite. Après de longues ­recherches, j’ai ­appris des choses qui ne figuraient pas dans mon dossier d’adoption, comme le fait que des enfants avaient été introduits ­clandestinement depuis le nord de l’Inde et ­baptisés comme chrétiens, pour être ensuite acheminés vers l’Europe via l’adoption.

Double combat

Une réponse qui a enclenché dix mille autres questions et en 2021, je n’ai toujours pas toutes les pièces du puzzle. J’essaie de ne pas chercher sans cesse, mais il n’y a finalement aucun moment pendant lequel je n’y pense pas. Et c’est aussi parce qu’on me rappelle constamment que j’ai été adoptée, ma couleur de peau, mon nom ou une situation. Du coup, j’ai du mal à lâcher prise. Je trouve aussi interpellant que l’on prête tant attention aux parents nourriciers et biologiques pour les enfants en famille d’accueil. Le parent biologique peut toujours décider de l’école, des vêtements, des loisirs, etc. Pour les enfants adoptés, c’est tout à fait différent. Une fois qu’on est adopté et qu’on monte dans l’avion pour retrouver notre famille d’accueil, c’est comme si le passé était définitivement anéanti. On n’offre même pas d’aide aux adoptés qui souhaitent entreprendre des ­recherches. Moi, je ne sais même pas si ma mère est encore en vie. Je me fiche de savoir si mon adoption était frauduleuse ou non. Je n’ai pas besoin de savoir en détail ce qui s’est passé, mais donnez-moi au moins la chance de savoir qui je suis. Point.

Si j’obtenais enfin des réponses pour rassembler les nombreuses pièces de puzzle manquantes, ça me permettrait de commencer le processus de deuil. J’aimerais savoir si j’ai été ­abandonnée par choix ou sous la contrainte. Ça signifierait beaucoup pour moi de savoir si j’étais un enfant désiré.

S’il s’avère que je n’étais pas désirée, je pourrais entamer mon ­processus de deuil. Mais s’il s’avère que ma mère me ­voulait, alors je ­voudrais savoir si elle va bien et ­pouvoir entrer en contact avec elle, même si je ne serai jamais sa fille. Mais être mère et savoir que votre enfant se trouve quelque part dans ce monde, sans pouvoir la rechercher, doit être très difficile à vivre au ­quotidien (silence). J’aimerais permettre à ma mère ­biologique de savoir où je suis, car j’ai des ressources qu’elle n’a peut-être pas. Je lui dois cette ­réponse. J’ai ­souvent ressenti un dilemme entre l’envie de savoir et celle de rester dans l’ignorance. Parfois, je sais qu’il vaut mieux ignorer son passé, mais ­instinctivement, je me rends compte que je ne peux passer à autre chose tant que je n’ai pas toutes les réponses.»

Hà, 26 ans, est née au Vietnam et a été adoptée en mai 1996. Elle ne s’est jamais sentie chez elle en Belgique et a fini par déménager dans son pays d’origine, il y a trois ans.

Il était une fois un père et une mère vivant dans un pays ­tropical où les pluies étaient féroces, mais courtes, où des ­montagnes impressionnantes, une jungle impénétrable et une mer ­magnifique se trouvaient à deux pas les uns des autres, où le riz et la canne à sucre étaient cultivés en abondance et où les traditions familiales étaient célébrés de manière sacrée. Mais aussi un pays où les traces de la guerre étaient encore visibles et tangibles et où la pauvreté affectait encore 60 % de la population à l’époque. J’avais 2 ans lorsque j’ai été emmenée dans un orphelinat local. J’ai ensuite été adoptée par un couple belge et je me suis retrouvée en Belgique. Je ne me souviens pas beaucoup de cette période, mais je me rappelle que nous ne parlions ­quasiment pas de mon adoption. Et quand on en parlait, c’était toujours sur le ton de l’humour. Je me souviens encore du conseil que mon père adoptif m’avait donné lorsque j’avais été victime de ­harcèlement pendant mon enfance: ‘S’ils te demandent d’où tu viens, dis simplement que tu viens de ­Plopsaland.’ Ce n’était pas mal ­intentionné, mais à quoi bon me dire ça?

J’ai rapidement associé l’adoption à la solitude et la souffrance. Bien que mon enfance ait été plus ou moins normale, je me ­débattais de plus en plus avec moi-même.

Je ne ­connaissais aucun autre enfant ­adopté à l’époque, ce qui n’arrangeait rien. Le fait que je n’ai pas pu partager mes émotions et mes sentiments avec qui que ce soit pendant des ­années et que je me sois sentie si seule dans cette situation a eu des conséquences destructrices. J’ai fini par faire une dépression. Je me suis fait du mal et j’ai fait deux tentatives de suicide. Je ne voyais aucune issue.

Finalement moi-même

Il existe encore de nombreux ­préjugés concernant l’adoption. L’image que la plupart des gens en ont est celle d’un enfant né dans un pays en ­développement pauvre qui n’a pas de parents, qui est finalement sauvé par une famille blanche et occidentale. Mais l’adoption est bien plus que cela. De nombreux adoptés sont aux prises avec des problèmes identitaires, des soucis d’acceptation sociale et sont victimes de nombreux stigmates ­associés à l’adoption. Quand j’ai ­réalisé que la situation était devenue intenable pour moi, après des mois de préparation, je suis ­montée à bord d’un avion pour le Vietnam. J’avais l’impression de rentrer à la maison, je ne me suis jamais sentie à ma place en Belgique. Au final, j’ai tellement aimé le Vietnam que j’ai dit au revoir à ma vie en Belgique. Ce fut la ­meilleure décision de ma vie, car ­depuis que je vis à Hanoi, je me sens beaucoup mieux. Il y a ­encore des problèmes que je dois affronter, mais je vois maintenant tout sous un jour beaucoup plus clair et je peux enfin être moi-même.

Contrairement à de nombreux autres adoptés, j’ai la chance que mes recherches aient porté leurs fruits. En cours de route, j’ai rencontré des gens qui sont du même sang que moi, même s’il ne reste pas grand-chose de ma famille biologique.

Mon père est décédé, il y a quelques années et il est difficile d’avoir des contacts avec ma mère, mais je vois et j’entends souvent ma demi-sœur. Parfois, je me demande si je ne devrais pas passer un test ADN. Une fois, j’ai relevé un échantillon, mais je ne l’ai jamais envoyé, car… que ce serait-il passé si le résultat était différent que ce que j’avais en tête? S’il s’avère que nous sommes liés par le sang, ce sera la fin de ma quête, mais s’il s’avère que ce n’est pas ma ­famille, je ne sais pas comment je pourrais encore chercher. Pour moi, l’adoption sera toujours synonyme de souffrance. Nous sommes en 2021 et il y a encore des choses que je trouve inacceptables, comme l’aspect financier de l’adoption. Sur une ­période de dix ans, les adoptions ont fortement chuté, tandis que les ­subventions ont augmenté. Pourquoi une énorme somme d’argent est-elle injectée dans ce secteur et où va ce budget? Un million d’euros est versé à des ­organisations pour amener des ­enfants en Belgique, alors qu’il n’y a ­pratiquement pas de suivi pour les adoptés qui sont déjà ici et qui grandissent. Pourquoi quelqu’un veut-il payer des dizaines de milliers d’euros pour amener un enfant en Belgique? Cet argent devrait aller à des organisations qui veillent à ce que les ­familles puissent rester ensemble. Dans le contexte de la protection de la ­jeunesse, ­l’adoption devrait être utilisée en dernier recours. En tant que ­société, il est nécessaire de réfléchir à l’aspect social et éthique de l’adoption. J’espère qu’un jour nous pourrons dire que l’adoption ­appartient définitivement au passé. »

Si vous avez des pensées suicidaires, vous pouvez contacter le centre de prévention du suicide au 0800 32 123 ou via preventionsuicide.be.

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